Ne voyez aucune allusion à la phrase du Président de la République, "je n'aime pas les riches"...
J'ai été apostrophé sur twitter il y a quelques jours sur ce "mouvement des entrepreneurs" et le projet de loi de finances :
Je me sens mal à l'aise devant ce "débat" repris sur les médias sociaux, la radio, la TV, la presse, online, pour plusieurs raisons (j'ai twitté toutes mes sources dans les derniers jours - je vous laisse le soin de les retrouver).
- le mouvement est anonyme. Plusieurs personnes sont désignées (et démentent) comme étant à l'origine de ce mouvement la semaine dernière. C'est un "mouvement spontané" parait-il. Mais il y a bien quelqu'un ou quelques uns derrière la création d'une page Facebook, de comptes twitters, de la page web du "mouvement". Ce n'est plus spontané et anonyme alors non ? Il y a bien des personnes (un collectif) derrière ceci ? Henri Verdier dans son post pointe du doigt une ancienne équipe de communication dans l'opposition. Peut-être. Ce qui est gênant c'est l'anonymat (bien qu'on retrouve une agence de communication derrière, déjà...) (update: lemonde.fr fait de l'outing...)
- les prises de position sont trop fortes et râleuses ! je comprends un mécontentement, un désarroi, une incompréhension... (cf. le joli post de Patrick Robin), mais pas le fait que plus de 20.000 se reconnaissent dans ce mouvement sans se poser des questions, changeant leurs photos de profil par un pigeon (que le nom est mal trouvé !). Quelqu'un a parlé de "moutons" sur les réseaux sociaux. J'ai une opinion personnelle, je n'ai pas envie d'un porte-parole. Je peux me reconnaître dans certains points du débat, de part et d'autre; je n'ai pas envie en revanche d'être caution ou représenté par ceux-là. (France Digitale, dont je ne suis pas adhérent, se propose d'être un des interlocuteurs. bonne idée).
- mon métier d'entrepreneur est d'entreprendre, malgré les difficultés, dans un contexte par définition hostile ou qui ne comprend ou n'as pas encore compris ma vision. Ce mouvement de pigeons ne fait que de se plaindre. Ne propose pas (à part retrait des éléments de projet de loi) des solutions alternatives. C'est contraire à l'esprit des entrepreneurs, très proche de celui de militants. Si le contexte français est défavorable économiquement, socialement, voire du point de vue de la qualité de vie, alors oui l'entrepreneur digital bougera ailleurs. So what ? Il le faisait déjà avant. Ce n'est pas des % de cession qui vont changer son point de vue (cf. post de Benoit Raphaël ou ce beau billet dans Libé).
- les chiffres qui circulent sont déformés, exagérés, et en tout cas présentés pour faire peur. 19% d'imposition pour la cession d'une plus-value ? mais non, cela n'intègre pas les contributions sociales, qui elles en revanche sont bien utilisées pour arriver à 60,5%... Quelqu'un par ailleurs a fait des calculs savants de progressivité de l'impôt ramenant ce chiffre dans le pire cas à à peine 50%. Cette imprécision des chiffres, cette manipulation de chiffres absolus m'insupporte. Non, l'Etat ne vous demande pas de travailler 12 ans ! Il réduit votre impôt si vous détenez vos titres aussi longtemps. C'est incohérent par rapport au monde digital qui va vite, mais nous ne représentons que 3% du PIB (cf. discours de Gilles Babinet lors de la création du CNN). 97% des entreprises ne sont donc pas concernées ? (update: Fleur Pellerin, ministre, fait une mise au point)
- je n'aime pas le fait qu'une corporation (les entrepreneurs du numérique) prêche pour sa propre paroisse, comme les agriculteurs de Bretagne qui déversent leurs choux-fleurs sur les autoroutes. Ou les taxis qui bloquent les autoroutes... Où est le bien général du Pays ? Le pays est très endetté : dans les 6% de PIB (pardonnez moi l'imprécision, mais ce n'est pas mon métier). Du coup nos impôts servent à payer des intérêts toujours plus lourds, au lieu de rembourser le principal. Les critères de Maastricht (et de la fameuse nouvelle règle d'Or) ne sont-ils pas de le ramener à 3%? Le candidat Hollande n'a t'il pas fait allégeance de réduire la dette d'ici à la fin de son mandat? Peu importe que les 17 dernières années aient été gérées par une autre idéologie politique. L'assainissement de notre dette publique et de nos finances publiques est une priorité nationale. Qui demande des sacrifices à tous. Y compris aux entrepreneurs du Web.
- Car en effet, et Marc Simoncini le rappelait bien hier sur BFM TV, personne ne remet en cause le fait d'aligner l'imposition sur les revenus du travail avec les revenus du capital. C'est une forme de revenu également non? Même si je suis tout à fait d'accord que l'imposition sur des plus-values sur des actions du CAC 40 (pour paraphraser un autre post - de l'argent gagné en dormant sans risque majeur à part perdre un bout de sa mise) devrait être bien différent de celui de l'outil de travail créé au détriment d'un style de vie très confortable de salarié (bon OK c'est une caricature); un entrepreneur créé de l'emploi, paye un jour de l'IS, paie des contributions sociales pour ses collaborateurs, etc. (= crée de la valeur ajoutée - cela est indéniable), au détriment pour lui même de filets de sécurité dont il bénéficiait en étant dans le privé (risque pénal de plantage de sa boite, pas de chômage, souvent un salaire inférieur, des nuits et des journées de stress, risque de devenir un "paria" économique s'il se plante, etc.). Il faudrait en effet trouver des mécanismes pour lui redonner les mêmes filets de sécurité (c'est-à-dire la même protection émotionnelle, sociale, économique) qu'un salarié. Avec pour lui comme rémunération supplémentaire la plus-value de cession par exemple. Mais nous savons tous que ce n'est pas notre motivation principale. C'est plutôt la liberté d'entreprendre, l'envie de changer les choses, l'envie de motiver une équipe, de déplacer les montagnes parfois.
- Je note que si on vous prend 60,5% de votre plus value, au-delà d'un seuil semble de 1,6m€ environ, il restera toujours 39,5% de la plus value, voire plus. Si la plus value est vraiment de plusieurs millions , il restera bien quelques millions : cela ne devrait pas décourager les entrepreneurs non ? et puis, soyons un rien cyniques : les entrepreneurs ont toujours su optimiser leur patrimoine à un moment donné. Quel que soit le gouvernement... sinon il n'y en aurait pas autant qui font la navette entre Paris et les pays limitrophes...
- Enfin, je trouve désolant de ramener le débat à Sarkozy vs Hollande, la gauche vs. la droite. Cela se soldera à nouveau aux prochaines élections. On peut passer notre vie à faire l'inventaire, à critiquer; au lieu de contribuer. Nous avons un Président élu démocratiquement, il faut faire avec lui pendant près de 5 ans encore, et lui faire passer les messages et - c'est notre devoir d'entrepreneur- de manière constructive. Râler est parfaitement inutile.
Si je résume le débat pour moi, je souhaiterais des propositions et éclaircissements sur les points suivants :
- comparer l'imposition de salariés vs. l'imposition de créateurs d'entreprises. Comparer le traitement de ceux-ci au regard de la loi (protection ou pas), de la fiscalité, de la reconnaissance de la société, etc. Voire d'un point de vue parfaitement cynique, comparer la contribution en points de PIB d'un entrepreneur vs. un salarié, gardant bien à l'esprit qu'un entrepreneur a besoin de salariés, et qu'un salarié a besoin d'un patron... Nous sommes donc condamnés à nous entendre et travailler en harmonie.
- comparer la fiscalité en France avec celle de nos voisins proches et outre-Atlantique. J'ai toujours entendu dire que cela coûtait beaucoup plus cher de vivre aux USA qu'en France, car pas grand chose n'est pris en charge. Et que l'imposition sur les revenus était plus importante. Pouvons-nous faire des calculs avec des plus-values à 1m€, 5m€, 10m€, 25m€, 100m€...
- synthétiser les vrais risques encourus par ces mesures (qui ne rapporteraient finalement que 1Mds€, vs. la valeur ajoutée créée par ces entrepreneurs, et une estimation crédible de combien serait détruite par ces mesures (départs à l'étranger, non création d'entreprises, etc.). Cela doit bien exister non ? (début de calculs ici par Jean-Louis Constanza ou là)
- enfin, une liste de mesures qui favoriseraient la compétitivité des entrepreneurs français (et il semblerait qu'un certain nombre soient en effet dans le projet de loi de finances 2013, tels que le maintien du statut JEI, élargissement de l'assiette de calcul du CIR, etc.), car c'est indéniable qu'ils sont un moteur de croissance formidable (exemple de témoignage). Je me souviens de Gilles Babinet qui citaient d'autres pays du G20 qui avaient un ratio "industrie du digital" sur PIB de près de 7% vs. nos malheureux 3%.
update: j'ai l'impression qu'au-délà de l'imposition des entrepreneurs, le débat commence à prendre forme autour de la reconnaissance et de l'aide apportée aux entrepreneurs comme moteurs de croissance de notre économie.
(post écrit d'un jet... je me réserve le droit de l'amender, compléter avec vos commentaires et précisions, ou de changer d'avis ... - nan, je déconne...)
