Les témoignages de plus en plus poignants se sont multipliés, comme ce vigneron qui écrit au Ministre des Finances Moscovici, et lui fait part de moult propositions (au moins on reconnaitra la patte de l’entrepreneur et patron de TPE qui cherche des solutions).
Le gouvernement aurait cédé, de manière insuffisante disent les #geonpi, même si la CGPME semble apprécier le geste.
Je disais en conclusion de mon premier post que le débat semblait se déplacer de la taxation de la plus-value de cession à la reconnaissance de la valeur créée par les entrepreneurs. En fait, j’ai à nouveau l’impression que nous revenons à un clivage gauche/droite stérile, comme cette interpellation de la Ministre Fleur Pellerin par Laure de La Raudière (UMP, opposition). D’un succès médiatique réel, le mouvement des #geonpi est devenu un débat politique à nouveau et cela est bien dommage.
Je voudrais revenir sur différents points :
1. Le mouvement des pigeonsJe ne me reconnais toujours pas dans ce mouvement. Ce n’est pas 68,000 like sur une page facebook (toujours anonyme… quel courage !) qui en font un mouvement légitime. C’est un peu comme si je me déclarais porte-parole de mes 12,000 followers sur twitter.
Mercredi dernier, tout un tas d’associations (dont je ne suis pas membre, mais qui elles représentent officiellement plein de gens) ont signé un communiqué de presse demandant tout simplement le retrait de la mesure incriminée.
Sur twitter et Pinterest, on a encore entretenu la confusion (en tout cas, moi je la lis comme cela)… Les messages twitter faisaient croire à un soutien à #geonpi, alors que cela n’était limpidement pas le cas si on lit le communiqué de presse. C’était un collectif contre le PLF2013, nuance…
D’ailleurs Jean-David Chamboredon (patron du fonds ISAI, qui comme d’autres signataires, a beaucoup à y perdre aussi, voir la section sur les investisseurs en capital) s’est mis en disponibilité du conseil d’administration de France Digitale pour devenir porte-parole officiel des #geonpi. On se préservera de conflits d’intérêts.
Enfin, je trouve déplacé pour le porte-parole du mouvement de se transformer en roi de la gaudriole, même si j’apprécie souvent ses bons mots ; idem pour nombre d’entrepreneurs proches du mouvement qui fustigent le président de la CGPME, parce qu’il a un avis contraire à celui des #geonpi ? Mélange de genres malheureux à l’heure où il faut plutôt être sérieux non ?
(je demande par avance pardon à ceux que je cite que je considère comme mes amis. J’illustre juste mes propos par les vôtres, car c’est vous que je suis et je lis sur les réseaux sociaux… Et bien sûr, chacun a le droit d’avoir ses propres opinions et de les partager.)
2. un point sur l’égalité de tous devant la fiscalité
J’entends encore partout que personne ne remet en cause le postulat de la même imposition sur le travail que sur le capital (moi compris).
En revanche, j’entends ici et là qu’il y a capital et capital. Il y a le capital investi dans des véhicules non productifs (au sens du « redressement productif » n’est-ce-pas ?) tels que les œuvres d’art (beaucoup de fronde contre leur fiscalité, en effet une toile produit finalement peu d’emplois…), ou les actions d’une société du CAC 40 ; et le capital investi dans mon entreprise où je transpire et souffre et produit de la valeur-ajoutée.
Revenons sur ces points :
- je ne connais pas les motifs liés à la fiscalité avantageuse des œuvres d’art. En revanche, si nous ne sommes pas compétitifs là-dessus, les œuvres d’art (et l’activité économique qui leur est associée) iront ailleurs (exemple : collection de François Pinault à Venise).
- en revanche, nombre d’entrepreneurs m’ont dit récemment qu’au lieu d’investir dans une startup, il sera plus judicieux d’investir dans la pierre. C’est sans grand risque par exemple à Paris, et il suffit d’attendre 15-20 ans pour récupérer une jolie plus-value. Cet argent ne sera pas utilisé pour l’économie.
- de la même manière, investir dans des actions du CAC 40 qui génère des dividendes ne produit pas grand chose. Pourtant les dividendes bénéficient d’un abattement de 40%. Ce qui veut dire que les investissements de rente et d’épargne sont aujourd’hui favorisés par rapport aux investissements de croissance. C’est diamétralement contraire à la ligne du gouvernement… Et j’avais cité dans mon post précédant le nombre très réduit de business angels en France qui réinvestissent leur fortune personnelle dans l’économie (et donc startups) par rapport aux USA et Grande-Bretagne où ils sont bien plus nombreux.
Revenons à une imposition commune entre le travail (les salariés) et le capital (les entrepreneurs, en faisant abstraction des points ci-dessus). Je suis d’accord sur le principe, mais je conteste l’assiette de calcul.
J'estime que les salariés bénéficient d’avantages en nature, non comptabilités comme tels, et qui changent significativement l’assiette de calcul, pour que les impositions soient comparables :
- sécurité de l’emploi : le salarié peut se faire virer, mais uniquement pour une bonne raison (faute, consentement mutuel). Et il touchera entre 3 mois (préavis) et 24 mois d’indemnités selon la négociation. L’entrepreneur chef d’entreprise est révocable ad nutum (sur le champ) par son conseil d’administration sans indemnités (en principe). Valeur de cette option ?
- pénibilité de l’emploi : le salarié a une tranquillité d’esprit, sachant qu’il touchera dans la plupart des cas son salaire à la fin du mois, et fonctionne suivant le schéma des jolies 35 heures françaises (lois Aubry I et II) ; est-ce comparable au stress de l’entrepreneur qui commence de rien, qui souvent ne se paye pas correctement pendant des années, qui vit littéralement au bureau sans compter son énergie ? Qui souvent est caution personnelle des prêts bancaires ? Valeur de cette option ?
- protection sociale : le salarié bénéficie automatiquement du chômage prévu par le Droit du travail. Le salarié bénéficie de protection maladie étendue, souvent avec des mutuelles. Le salarié bénéficie de cotisations retraite (sur la base de son salaire élevée). Rien de cela pour l’entrepreneur, sauf à prendre une assurance privée ou des régimes minimum. En outre, l'entrepreneur a un risque pénal en cas de plantage de son entreprise... Valeur de cette option ?
- reconnaissance sociale : la France ne valorise pas l’échec comme une expérience enrichissante ; si l’entrepreneur se plante (9 cas sur 10), il devient un paria pour la société économique. Combien de mes amis entrepreneurs (qui cherchent un travail) se sont entendus dire par des recruteurs ces derniers mois de remplacer le mot ‘entrepreneur’ sur leurs CVs par ‘chef de projet’ sur leurs propres entreprises car cela sera plus valorisant ? Valeur de cette option ?
- participation financière : il est courant pour un salarié d’avoir des avantages en nature (tels que participation d’entreprise) qui n’existent pas dans une startup. L’entrepreneur ne touche pas non plus ces avantages. Valeur de cette option ?
- valeur ajoutée : on pourrait continuer sur le thème de l’entrepreneur créant de l’emploi, payant des cotisations sociales, créant du pouvoir d’achat, finissant par payer de l’impôt sur les bénéfices de son entreprise, payant déjà des impôts locaux de toutes sortes, et ne coûtant rien (après 24 mois au plus :) à Pôle Emploi car il se prend en main ?
Dans le débat public actuel, je ne lis que rémunération du risque financier de l’investissement, voire du risque de liquidité (pas de sortie garantie avant longtemps, contrairement à une action côtée très liquide). Ne faudrait-il pas aussi un abattement forfaitaire pour les entrepreneurs créateurs d’entreprise pour prendre en compte cette disparité d’assiette de calcul et ces risques humains et sociaux ?
J’ai lu que certains demandent un abattement de 40% sur la plus-value de cession des entrepreneurs, l’alignant ainsi sur l’abattement de 40% existant déjà sur les dividendes d’actions côtées. Pourquoi pas.
Mais il existe d’autres techniques qu’il conviendra d’explorer en détail. Il semble que les britanniques n’imposent les dix premiers millions de livres de plus-value qu’à 10%, et que c’est progressif ensuite. Imaginez cela. Vous vous faites neuf millions cash (de quoi voir venir hein ?), et ensuite vous contribuez à l’effort national… C’est motivant je trouve.
3. l’impact fiscal sur les entrepreneurs
Je suis encore très étonné de ce que les entrepreneurs prennent pour argument principal de leur motivation d’entreprendre l’imposition sur leur potentielle plus-value de cession.- or, une plus-value de cession ne concerne que peu d’entrepreneurs… : nous savons tous dans le métier que les probabilités de sortie intéressantes pour une startup sont faibles : cinq à six startups sur dix vont aller au tapis ; trois ou quatre autres se vendront quasiment à prix coûtant, il n’y aura donc pas de plus-value pour neuf d’entre elles. Le saint-graal ne sera accessible finalement qu’à moins d’un entrepreneur sur dix. Je conçois que la perspective d’une plus-value est motivante, mais le parcours, la liberté, l’impact, les connaissances accumulées, les rencontres sont autant de satisfactions à prendre en compte.
- s'il y a plus-value, il y a-t’il vraiment une différence significative de motivation entre 40% et 60% d’imposition? pour utiliser des chiffres ronds, entre 4m€ et 6m€ de plus value si on vend sa part à 10m€ ? OK, on achètera une maison un peu moins grande, ou un avion avec un moteur de moins, est-ce la fin du monde ?
- enfin, dans l’univers de la technologie, financé par des capitaux-risqueurs, il y a une clause de liquidité, en général fixée à cinq ans, qui permet à ceux-ci de revendre leur part et faire un retour sur investissement pour leurs fonds (c’est leur modèle d’affaire). Mais rien n’oblige l’entrepreneur à vendre (à part la clause de drag-along classique). Ainsi les Bill Gates, Mark Zuckerberg, Xavier Niel, etc. sont restés au capital de leurs entreprises, malgré les entrées et sorties d’investisseurs, n’est-ce-pas ? Certes, ils ont cédé une partie de leur capital et ont payé un impôt, mais était-ce pour eux le plus important ?
- Certains ont fait le choix avant même ce PLF2013 de quitter la France et s’installer dans des pays limitrophes pour bénéficier d’une imposition réduite. Ce n’est donc pas ce projet de loi qui les a fait quitter le pays. Et ils ont su le faire avant de céder leurs participations, et ont « économisé » beaucoup d’argent en allant installer leur résidence fiscale ailleurs (il suffit de scolariser les enfants ailleurs, simple…), mais en revenant souvent en France? Nous sommes dans une économie mondialisée en ce qui concerne l’activité de la startup, et régionalisée en ce qui concerne les personnes, qui sont devenues très mobiles. Par ailleurs, nos pays limitrophes sont très actifs en « invitant » nos entrepreneurs à les rejoindre avec insistance. Le Maire de Londres est sans vergogne quand il le fait ; en toute discrétion, la Belgique ou le Luxembourg ont des émissaires efficaces qui rencontrent tout un tas de gens… Pour cette catégorie d’entrepreneurs, la vraie question n’est donc pas de les taxer plus ou de rester aux taux actuels, mais d’imaginer comment taxer moins les entrepreneurs qui réussissent (qui ont créé de l’emploi, contribué à l’économie par une distribution de pouvoir d’achat, des cotisations, etc.) et qui souhaiteraient rester.
- D’autres m’ont dit qu’ils partaient dans les prochains mois. Non pas parce qu’ils regrettent (de fait) cette taxation supplémentaire. Et la rétroactivité de la loi de Finances (qui semble caduque sur certains aspects depuis les #geonpi). Mais parce que la France change de politique fiscale chaque année, qu’elle ne propose pas de stabilité ; que les décisions économiques prises légalement sont remises en cause régulièrement, et que si le taux x est appliqué cette année, il n’y a plus de raison qu’il ne passe pas à y l’an prochain. Comment construire une activité pluri-annuelle (souvent cinq ans) sur des sables mouvants ? Pour cette catégorie d’entrepreneurs-ci, la question est comment leur proposer un environnement stable et séduisant. Ils décideront alors en connaissance de cause de lancer leur activité en France ou pas ; cela n’est pas nouveau, l’Irlande a développé depuis longtemps un environnement très propice à l’industrie de la technologie.
Un détail technique. Je lis ici et là des seuils de détention, des durées de détention. Il faut absolument quelque chose de simple et de lisible, qui ne soit pas liée au temps ni au pourcentage pour parfaitement aligner les intérêts des investisseurs et des entrepreneurs avec le marché:
- ainsi si la règle dit 5 ans par exemple, un entrepreneur ne vendra pas à 4 ans car il sera imposé lourdement, et attendra peut-être une nouvelle opportunité un an plus tard, alors que cela fera totalement du sens pour son entreprise d’être absorbée par une plus grosse, et pour tous les salariés de son entreprise. C’est le propre de notre industrie de faire des sorties très rapides, ou parfois beaucoup plus lentes.
- cela est la même chose pour les seuils, de 10% dans les derniers textes. Cela est stupide et démontre une incompréhension de notre métier. J’ai investi par exemple dans une startup il y a quelques années où il y avait 6 co-fondateurs. Après un tour de business-angels, puis un fonds d’investissements, les fondateurs sont passés à moins de 10% chacun. Ils seraient imposés plus que s’ils avaient pris moins d’argent pour développer leur société et en créer un acteur européen important ? Certains secteurs comme la bio-tech nécessitent de lourds investissements, en dizaines de millions d’euros, ce qui fait que même 2-3 fondateurs passent mécaniquement en-dessous des 10% avant la sortie.
4. L’impact
sur les capitaux-risqueurs
Certains investisseurs en capital se sont insurgés publiquement contre le PLF2013 en parlant d’assassinat (cf. Philippe Collombel dans l’Expansion).
La nuance à apporter est que l’assassinat concerne les investisseurs et pas du tout les entrepreneurs. Petite confusion bien utile même si l’article de l’Expansion a essayé d’expliquer les points techniques.
Pour mémoire, l’argent d’un fonds investissement souscrit par des LP (investisseurs institutionnels en général) est géré par des GP (general partners). Après un rendement minimum (dans les 7-8% par an pendant 10 ans !), la plus-value dégagée est partagée entre les LPs (en général à 80%, exonérée d’impôts, car statut de FCPR), et les GPs (donc les 20% restants). Cette clause prévoyait de passer l’imposition à 75% (tranche haute) + cotisations diverses, soit près de 92%. Autant dire que la plus-value potentielle des investisseurs est réduite à néant, et que c’est LEUR motivation qui est en jeu, car de fait, le projet de loi les transforme en simples salariés de leurs fonds sans plus-value potentielle.
Par corollaire, si les GP ne sont plus motivés, ils n’investissent plus, et donc il y aura potentiellement moins d’argent pour les entrepreneurs (tout cela étant relatif, car il y a plein de fonds qui n’arrivent pas à dépasser le hurdle rate, donc pas de carried interest…).
Cette clause semble amendée depuis. Et il faudrait évidemment revenir au principe de base (s’il est retenu) du même taux d’imposition pour tout le monde ! Voire un taux moindre pour les entrepreneurs et les investisseurs dans les entreprises de croissance… Il semblerait que l’imposition sur le carried interest en Grande-Bretagne n’est que de 28% ?Il faudrait donc être précis dans le débat public, éviter les confusions, les amalgames, peut-être même instaurer un fact-checking régulier sur les différents articles / posts sur un site indépendant (ou alors les #geonpi s’y collent…), comme l’a fait le New York Times pendant le 1er débat Obama-Romney.
5. impact fiscal sur les salariés de startups
En reprenant tous les points ci-dessus, il faut garder à l’esprit qu’il est plus sûr de rejoindre en tant que salarié une entreprise établie plutôt qu’une startup. Le risque est important qu’elle aille au tapis, et de perdre son emploi. Nous utilisons alors des mécanismes de participation, dit stock-options, localisés en France sous forme de BSPCE et BSA. Il est indispensable de maintenir ces mécanismes d’incentive (83% des startups l’utilisent, d’après le baromètre de France Digitale) pour pouvoir continuer à attirer des collaborateurs.
Je maintiens donc mon point de vue précédant : il faut une politique globale en faveur de l’entrepreneuriat en France, à la fois fiscale, sociale, humaine. Le baromètre de France Digitale sur un panel de 108 startups est éclatant : 87% d’emplois en CDI, plus de 24% de croissance des effectifs par an. (lire aussi l'article de Patrick Robin dans le Point, qui donne beaucoup de chiffres à la fin). Et ma perception, pour avoir participé de nombreuses fois à ses Universités d’été, et à quelques réunions, est que le MEDEF ne représente pas les TPE et PME de croissance qui créent de l’emploi. Nous avons besoin d’un autre véhicule. Peut-être France Digitale pour ceux qui sont dans l'Internet. Mais de manière générale, un organisme regroupant les petites entreprises de très forte croissance qui génèrent de l'emploi et de la valeur ajoutée.
Philippe Hayat est pressenti pour être un haut commissaire à l’entrepreneuriat. Il sait de quoi il parle, répandant la bonne parole depuis des années dans les lycées avec « 100.000 entrepreneurs » auquel j’ai participé, lui-même entrepreneur et investisseur. Je trouve plutôt encourageant pour le gouvernement de prendre cette mesure et de se doter d’un interlocuteur. Maintenant encore faut-il lui donner des moyens, une importance réelle, et une équipe d’experts à la manière de feu le Conseil National du Numérique pour travailler sur les sujets ? Ou est-ce un n-ième coup d’épée dans l’eau ?